Au Chat Noir
et Gabriel Montoya en 1904
Pour Mme Granier
Le professeur de musique
Ecoutez, et sachez comment
L’an passé, j’appris la musique ;
C’est aussi drôle qu’un roman,
Plus simple qu’un tour de physique.
Notez bien que mon professeur
Etait d’abord un tout jeune homme
A la voix pleine de douceur…
Peut-être même un prix de Rome.
Dès le premier jour il me dit :
« Savez-vous bien votre solfège ? »
-« Pas trop » Alors il répondit :
« Nous l’apprendrons, prenez un siège. »
Et m’asseyant sur ses genoux
Sans que j’y fisse résistance :
« La musique doit entrer en nous ,
Dit-il, supprimer la distance ! »
J’obéis, n’y comprenant rien,
Songeant : « C’est peut-être la mode. »
Lui me dit : « C’est pour votre bien
Que j’adopte cette méthode.
Prenons d’abord la clé de sol
Puisque vous n’êtes pas très forte,
Et sans dièse, ni bémol,
Nous ouvrirons la bonne porte ! »
« Comment, fis-je, et la clé de fa
L’apprendrons-nous bientôt ? » - « Gourmande,
Un peu plus tard sur le sopha,
Répondit-il à ma demande.
Pourquoi vouloir sauter d’un coup
Par-dessus les préliminaires ?
Cette ardeur nous promet beaucoup
De choses extraordinaires ! »
Et sur la clé de sol d’abord
Quelques instant nous appuyâmes,
Exécutant avec transports
Une multitude de gammes ;
Tous les tons et les demi-tons,
Mêmes les gammes chromatiques,
Dans le fourmillement des sons,
Dansaient des rondes fantastiques.
Bref, j’appris, et comme en rêvant,
Grâce à la nouvelle méthode,
Des morceaux longs et d’un savant…
Croyez-moi, l’autre est moins commode,
Car dans une heure j’avais fait,
C’est très fort, mais c’est véridique,
Plus de six fois l’accord parfait…
Depuis, j’adore la musique !