Ephéméride du 27 avril - Naissance Club Méd
1950
Naissance du premier Club Méditerranée
Gilbert Trigano et Gérard Blitz fonde le Club Méditerranée en ouvrant le premier site à Palma de Majorque, aux Baléares. Cette association a pour but d’offrir aux touristes différents loisirs au sein d’un village de vacances. L’esprit d’appartenance à un même groupe est vivement développé au sein des clubs. Les termes de « Gentils Membres » et de « Gentils Organisateurs » seront utilisés pour désigner les acteurs du Club. Chaque client devra verser une cotisation et pourra payer ses diverses consommations avec des boules colorées. L’association connaîtra une période de crise dans les années 1990. Au terme d’une succession de rachats, elle finira par mettre en place de nouvelles stratégies.
Un psychanalyste, Jean-Benjamin Stora, a étudié, à partir de 1967, la genèse du Club Med et tenté de décrypter les mobiles inconscients de ses créateurs. Récit d’une belle aventure qui a croisé celle de millions de « gentils membres.
Concilier le monde capitaliste et l’utopie
Les années d’après-guerre sont marquées par le traumatisme de l’Holocauste. Communiste pour mieux combattre les Nazis, Gilbert Trigano avait été, un temps, journaliste à L’Humanité et à L’Avant-Garde. « Nous étions des survivants. Nous voulions nous mettre au service de l’homme. Plus que Gérard, j’ai cherché à concilier le monde capitaliste et l’utopie. Je me souviens de ces petits matins où nous bâtissions le monde avec une audace, une vraie folie furieuse et, en même temps, une grande lucidité : nous savions que nous pouvions influencer l’être et le devenir des gens. »
Retrouver le paradis perdu
Leur programme est naïf et lumineux : retrouver le paradis perdu que chacun porte en soi, « recueillir les hommes que détruit la société moderne, en un lieu de paix et de douceur où ils peuvent récupérer leurs forces. Fabriquer un milieu artificiel destiné à réapprendre aux hommes à sourire. »
Ils ont à leurs côtés une alliée précieuse : Claudine Blitz, l’épouse de Gérard. Originaire de Tahiti, elle a emporté dans ses malles « les échos d’un paradis primitif et chaleureux ». C’est au bord de la Méditerranée que se construit le paradis. L’Eden est solidement clôturé de barbelés : le village-club – d’abord de toile, puis de cases – est une parenthèse dans le temps, coupée de tout cordon ombilical avec l’ordinaire de la vie « terrestre ».
« Gentils organisateurs » et « gentils membres »
Dans ce monde entièrement clos, chouchoutés par de beaux, jeunes et drôles « gentils organisateurs » (GO), les « gentils membres » (GM) tombent la chemise pour le paréo, bannissent le langage de leur profession et de leur milieu social, se tutoient, ne conservent que leur prénom, laissent libre cours à leurs fantasmes sexuels, échangent leurs billets de banque contre des colliers-bar. Une idéologie égalitariste règne. « C’est dans ce contexte que la régression psychique a pu s’opérer, analyse Jean-Benjamin Stora. Les créateurs du Club Méditerranée ont facilité cette capacité de l’être humain à mettre en œuvre le principe de plaisir, sans complexe ni culpabilité. Leur succès doit beaucoup à ce désir de retour aux sources, à cette recherche inconsciente de la vie intra-utérine. Au Club Med, on devient tous des gentils membres égaux dans le ventre maternel. On vit dans une mère – mer – intérieure. »
Fiesta et illusion permanente
Clé de voûte du système, les GO entretiennent la fiesta et l’illusion permanente, facilitent le chemin vers la régression. C’est Gérard et Claudine Blitz qui les choisissent : « Claudine a joué le rôle informel de directrice du personnel, un rôle fondamental car toute l’animation du Club repose sur les GO. Elle et Gérard ont été les parents tutélaires du Club, qui ont su choisir des enfants à leur image, avec lesquels ils ont entretenu des relations familiales. »
Si Gilbert Trigano n’a jamais caché qu’il avait créé « une industrie profondément psychologique », on ignore souvent que Gérard Blitz avait fait du sage et philosophe indien Krishnamurti son père spirituel. « Gérard était un être d’une très grande spiritualité, qui se retirait souvent dans un ashram, raconte son ami. Il a pris du champ par rapport au Club Med quand il a su qu’il avait une maladie grave. Il a accepté et lutté formidablement. Il est devenu moine bouddhiste. »
La fin du rêve
Selon Jean-Benjamin Stora, la grande aventure du Club Méditerranée n’a duré qu’une quinzaine d’années, de 1950 à 1967. En 1968, le Club s’exporte aux Etats-Unis. « Ils n’ont hélas pas compris qu’ils avaient trouvé un chemin… et qu’ils allaient le perdre. La philosophie du Club ne pouvait pas survivre en l’état à sa mondialisation. Leur vision est devenue stratégique et non plus psychologique. La civilisation méditerranéenne n’est pas la civilisation américaine ou mondiale. Il a fallu s’adapter à d’autres cultures. Et puis, il est vrai que le paradis perdu ne peut se vivre qu’en petite communauté. Les concurrents se sont engouffrés dans le créneau avec, hélas, nettement moins de poésie ! »